Décrypter la politique de ladministration Obama à légard du régime de Téhéran nest pas chose aisée. Entre désir de fermeté, diplomatie multilatérale et sanctions internationales inefficaces, ses déclarations sont pour le moins paradoxales. En définitive, labsence de résultats concrets se fait lourdement sentir. Pire encore, il semblerait aux yeux de certains que la perspective dun Iran nucléarisé est inévitable est quil conviendrait alors dapprendre à sen accommoder.
LAmiral Mike Mullen, Chef dEtat-major des armées, a voulu répondre et mettre un terme aux critiques en intervenant dimanche dernier sur la chaîne MSNBC, afin de montrer lentière détermination américaine à légard de lIran. Il a ainsi admis que les possibilités militaires ont toujours été sur la table et restent sur la table ( ) elles sont une des options que le Président a à sa disposition.
La presse en a déduit que les menaces à lencontre de lIran se faisaient plus pressantes.
Cependant, il conviendrait de pousser plus avant lanalyse. Mullen a aussi ajouté : jespère que nous nirons pas jusque-là et que lattaque de lIran nétait pas recherchée par les Etats-Unis, non seulement pour les conséquences de laction elle-même, mais pour les événements qui pourraient résulter après ce fait. On peut alors douter que son intervention ait leffet escompté.
La portée de son discours est toute autre : en reconnaissant la nécessité de planifier des frappes stratégiques, Mullen reconnaît léchec de la diplomatie laxiste; cependant, en craignant de la sorte les conséquences de laction militaire, il dévoile les appréhensions américaines à user de la fermeté.
LAmiral a souhaité montrer que Barack Obama disposait dun vaste éventail de solutions. En réalité, sa politique internationale apparaît tâtonnante et ambigüe, réagissant à lactualité et manquant dune base danalyse stratégique profonde. Ainsi, le pas-de-deux maladroit auquel sest livré Mullen savère incapable dentretenir la capacité de dissuasion qui est primordiale face au gouvernement iranien.
De son côté, le régime de Téhéran na pas tardé à répondre et à se montrer bien plus ferme, par lintermédiaire dun dignitaire des Gardiens de la Révolution:
Le Golfe persique est une région stratégique; si la sécurité de la région est mise en danger, (les Etats-Unis) en partiront car notre réponse sera ferme ( ) Nous nous défendrons contre toute action menée par les Etats-Unis ou Israël. [ ] lIran avait développé sa capacité défensive pour renforcer sa force de dissuasion.
es dires semblent être ceux dun régime sûr de ses capacités, ce qui peut bien entendu paraître pour le moins naturel de la part dun gouvernement non soumis aux règles de la vie démocratique. Mais, de proche en proche, ils confirment les analyses plus subtiles sur le sujet qui peuvent être trouvées ailleurs.
En effet, le 25 juillet dernier, Michael Hayden avait affirmé que loption militaire était la dernière de la liste lorsquil était encore Directeur de la CIA mais semble inexorable désormais: Téhéran fera avancer sa nucléarisation jusquà la limite de pouvoir disposer de larme atomique. Leffet, en termes de déstabilisation régionale, sera alors identique.
Rappelons quil est à craindre que lensemble des pays du Moyen-Orient ne se lance dans un engrenage de prolifération devant les velléités hégémoniques de lIran. En effet, constatant la faillite des Etats-Unis à empêcher la nucléarisation de lIran, il serait peu surprenant que les pays limitrophes engagent une course aux armements afin de se défendre eux-mêmes. Israël nest bien entendu pas le seul Etat concerné. Des propos du Président égyptien Hosni Moubarak, prononcés en 2007, illustrent cette forte probabilité : nous ne voulons pas darmes nucléaires dans la région mais nous sommes dans lobligation de nous défendre ( ) nous devrons avoir les armes appropriées.
De son côté, Youssef Al-Otaiba, Ambassadeur des Emirats Arabes Unis aux Etats-Unis avait aussi déclaré en juillet dernier que nous ne pouvons pas vivre avec un Iran nucléarisé ( ) Je suis prêt à accepter ce qui sera nécessaire pour assurer la sécurité des Emirats Arabes Unis, acceptant là le principe de frappes aériennes américaines.
Plus encore, des renversements de régimes intervenants dans un Moyen-Orient lancé dans une course à larme nucléaire sont-ils si inconcevables? Non, bien sur, si lon tient compte de linstabilité malheureusement intrinsèque à la région.
Dans ce contexte, on comprend que le containment (cest-à-dire lendiguement) que ladministration Obama voudrait voir mettre en uvre na pas lieu dêtre. Si cette doctrine a pu savérer utile face à la politique hégémonique du bloc soviétique durant la guerre froide, elle ne peut être entendue de la même façon au XXIème siècle face au régime de Téhéran. En effet, une extension territoriale a, en pensée comme en pratique, peu de choses à voir avec la volonté de mener à terme un programme denrichissement duranium. LIran nest définitivement pas lURSS et ladministration, en utilisant les solutions dhier, risque de se montrer désarmée face aux problèmes daujourdhui.
De surcroît, rares sont ceux qui acceptent de répondre honnêtement à une question très simple : comment peut-on espérer un endiguement effectif si les lignes à ne pas franchir, que lon trace fébrilement, sont constamment piétinées?
Refuser de répondre à cette interrogation, comme le font de nombreux commentateurs, revient à attendre en vain de lIran un comportement rationnel, tendant vers la recherche dun équilibre global. Penser de la sorte est une grossière erreur, comme lécrit en substance Bret Stephens dans Commentary:
« LIran est bien loin dêtre la puissance pragmatique et circonspecte décrite par les avocats de lendiguement. Au contraire, le régime sest illustré, dès ses premiers jours, par sa volonté de mener querelle à des ennemis puissants, dentreprendre des attaques terroristes dans un rayon large, de sexposer à lopprobre international et à lindignation morale, de mettre à lépreuve la patience de la diplomatie internationale, et de lever les enjeux chaque fois que le monde semblait prêt à accepter les conditions. En clair, lIran a mené des politiques qui sembleraient presque avoir été calculées pour renforcer son statut de paria du monde.»
On en vient alors à saisir que le régime des Mollahs grandit lorsque lOccident se montre craintif:
Le comportement, après tout, est largement fonction de lexpérience. Pourquoi un Iran nucléarisé, enhardi après avoir défié avec succès et pendant des années les menaces et sanctions occidentales, pourrait croire que les Etats-Unis étaient sérieusement préparés à faire respecter telle ou telle ligne rouge pour sauver lendiguement?.
Ainsi, les plaidoyers en faveur de lendiguement ne sonnent pas justes. Evidemment, les solutions qui soffrent aujourdhui sont encore moins agréables à entendre. Une fois que lon a compris limpact considérable dun Iran nucléarisé et léchec de la diplomatie, il ne reste que les perspectives dun changement de régime et celle, plus difficile encore, des frappes aériennes.
Que peut-on attendre de la révolution verte de lété 2009, brisée dans son élan et jugée devant un simulacre de tribunal ? Sans doute peu à court terme. Miser sur elle sassimile à un vu pieux. Bret Stephens la dailleurs très justement comparée au mouvement Solidarnosc en Pologne, qui avait attendu dix longues années avant de prendre le pouvoir. Malheureusement, une décennie est bien plus quon ne peut soffrir face à lIran.
Une fois ce constat réalisé, la marge de manoeuvre se réduit drastiquement. On remarquera alors que Steven Simon et Ray Takeyh, ayant respectivement servi dans les administrations démocrates Clinton et Obama, ont admis quune attaque nétait pas inconcevable si la Maison-blanche devait faire face à deux alternatives: vivre avec un Iran doté de larme nucléaire ou se lancer dans une action militaire pour len empêcher.
Le Sunday Times avait dailleurs relayé en juin que lArabie Saoudite aurait accepté lutilisation de son espace aérien dans le cadre dune attaque contre les facilités nucléaires iraniennes, tandis que lEgypte, selon le quotidien Haaretz, aurait facilité le passage dune flotte israélo-américaine dans le canal de Suez. Les pays les plus directement concernés sont ainsi amplement conscients de la nécessité daller de lavant.
Bien entendu, il ne sagit pas de nier que des frappes aériennes contre lIran nauront aucune conséquence néfaste. Indéniablement, tout conflit est porté à en avoir. Mais il apparaît quune course à larmement nucléaire au Moyen-Orient serait pire encore.